Matthieu Grillet me reçoit dans son atelier, un établi bien outillé qui occupe un angle de l’appartement familial, entre la cuisine et le salon. Aux murs, des dessins, des photos et ses petites maquettes en carton.

CharlotteBonjour Matthieu, merci de me recevoir dans ton atelier pour me présenter ton travail. Peux-tu te présenter brièvement ? Quel est ton parcours ? As-tu suivi une formation artistique ? 

Matthieu Grillet – Non, je suis autodidacte. Je fais ce travail artistique en parallèle de mon emploi au jardin botanique. Au départ, je voulais faire un métier manuel. Mais, ma passion pour la nature m’a finalement amené à faire l’école d’horticulture. Et puis, je m’en suis éloigné, parce qu’à l’époque l’idéologie était au tout pesticide. Alors, j’ai bifurqué et j’ai travaillé comme serveur, moniteur dans des centres de loisirs, chauffeur, livreur… Et parallèlement à tous ces petits boulots que je faisais, il y avait l’organisation de concerts sauvages (Ilôt 13) et l’occupation d’endroits vides, qui influencent complètement mon boulot. 

Ensuite, c’était l’époque des squats. Il y en avait pas mal à Genève. C’était génial, parce qu’il y avait un échange de savoir-faire qui était très riche. Là, j’ai pu me frotter à plein de métiers. Profiter des compétences des autres : charpente, cuisine, plomberie, électricité, des petits chantiers… enfin un peu tous les corps de métier.  À chaque fois que quelqu’un savait faire quelque chose que je ne savais pas faire, j’en profitais, en fait. Après j’ai fait l’école sociale d’animation. Et puis, tout ce militantisme culturel, dans lequel je me suis beaucoup impliqué, à abouti à l’obtention de l’Usine, un centre culturel autogéré [NB : un des rares à exister en Europe].

CharlottePeux-tu expliquer ta démarche ? D’où vient ta motivation ? De quels lieux est-ce que tu t’inspires pour tes maquettes ?

Matthieu Grillet – Au départ, c’est une passion pour l’architecture et l’urbanisme. Je me définis comme un flâneur urbain et j’ai toujours aimé me perdre dans les villes. Ces maquettes, c’est un peu des croquis 3d de mes flâneries urbaines. Ce plaisir incroyable d’arriver dans une rue que je ne connais pas. 

Quand j’étais ado déjà, quand j’arrivais dans ces endroits de Genève où il y avait ces anciens bâtiments, j’avais toujours une émotion. Toutes ces usines abandonnées, toutes ces friches qu’il y avait encore en ville et qui ont maintenant disparu. Il y avait des endroits incroyables ! Ces lieux m’ont toujours fascinés en fait. De ces rues, il n’ en a presque plus… Aux Grottes, il y a encore la petite rue de Péclot 13, mais qui a été toute refaite aussi. 

C’étaient des endroits avec des ateliers, des endroits en devenir, entre deux projets, comme ça. Maintenant, on est dans des villes où chaque espace est défini, où chaque espace a son utilité. Nous, quand on était ados, il y avait encore des terrains vagues où on allait faire des cabanes. Où on faisait les cons dedans, et ça a disparu. Dans ces quartiers, il y a plein d’histoires cachées et on peut imaginer des histoires, parce que justement les choses ne sont pas totalement définies. Maintenant, même dans un parc, chaque chose est définie. Chaque chose a son rôle.

Et puis après j’ai eu la chance d’aller régulièrement à Brooklyn parce que 2 cousins de la famille habitaient là-bas. Le quartier était alors en pleine mutation. Pendant presque 20 ans, j’y allais une semaine, 10 jours régulièrement chaque année et je me perdais dans la ville. J’étais dans un quartier très villageois. Très village-musée. Il y avait ces architectures anglaises sur 2 étages avec le commerce en bas [Matthieu me montre une de ses maquettes ; le nom du quartier est inscrit dessus]. Et puis là, je viens de voir sur Internet que ce quartier vient d’être détruit.

C’est souvent des quartiers qui ne sont pas aimés. Parce qu’ils sont pas très beaux. Des quartiers où il y a de la vie, des artisans, des menuisiers, des grosses machines… c’est des quartiers où on voit travailler les gens. Il y a des ferronniers d’art, des postes à souder, des bruits de marteau… tout un artisanat et des savoirs faire qui petit à petit sont repoussés à la périphérie et disparaissent des centres villes. C’est un phénomène au niveau mondial.

Des quartiers qui deviennent souvent des musées ou des centres artistiques. À New York, c’est typique : le quartier, il est mal famé, donc pas cher, alors les artistes s’y installent ; ça devient de plus en plus fréquentable, les prix augmentent et il y a les bobos qui arrivent. Enfin, il y a la deuxième vague, les promoteurs qui rachètent tout. Qui virent tout le monde et qui mettent des artistes officiels oui qui ont du fric et puis voilà. L’histoire recommence ailleurs. 

Il y a aussi Manchester que j’ai visité. C’est une ville où des quartiers ultra modernes ont vu le jour pour faire des bureaux, des commerces et des habitations de luxe.

Dans les endroits comme Genève, où c’est petit, je ne sais pas où il y a encore ces sas pour les artistes. Ces sas qui permettent de commencer sans moyen. Des lieux sans admin où on peut juste être dans la créativité et puis lâcher prise. À la Praille ce serait hyper intéressant de regarder un peu. Il y a plein d’ateliers et de gens qui habitent clandestinement… des artistes. Il y a une vie de quartier. 

CharlotteQuand as-tu commencé ce travail de maquettes en carton ? 

Matthieu Grillet – Les maquettes ont commencé après un arrêt de travail. J’avais besoin de construire des choses pour me sortir d’une impasse professionnelle. Quand je travaille à mes maquettes, je suis dans un état de bien-être méditatif. Une sorte de Yoga mental. Ça a commencé dans la continuité de travaux de chantier de grande envergure que je menais à la ferme du Salève. Ici, de retour dans mon atelier en ville, je faisais des trucs plus petits, par manque de place. Et j’ai trouvé mon rythme de croisière au niveau du format. Oui, j’ai vraiment trouvé un style en trouvant le format. Tout l’art c’est de trouver la bonne dimension. Mais j’essaie pas de tomber dans le côté maquette modèle-réduit. Je veux garder quelque chose d’imprécis. D’un peu brut. 

CharlotteEst-ce que tu te sers de tes dessins et photos comme matériel documentaire pour faire tes maquettes ?

Matthieu Grillet – Non. Je ne travaille pas d’après des photos. C’est… c’est dans ma tête. Je m’imprègne de mes balades et puis, ces bâtiments… ils sont venus tout seul… 

CharlotteTu n’es pas dans une démarche documentaire ? 

Matthieu Grillet – Non. Garder une trace, oui. Mais une trace d’atmosphère. Reproduire des bâtiments exacts, ça m’intéresse pas. J’essaie plutôt de développer une émotion. Garder une trace poétique du lieu.

C’est comme ces dessinateurs qui donnent l’ambiance sans être dans le détail. Celui-là [il me montre une de ses maquettes] il est très influencé par les immeubles de Carouge, mais de tête. Là j’ai fait des toits à la carougeoises. Des arcades. Deux étages. C’est un clin d’œil à ma dernière expo à la Galerie Marianne Brun à Carouge.    

Charlotte Et le dessin? Quelle est la place du dessin dans ton travail de ? Il y a beaucoup de croquis épinglés sur les murs… 

Matthieu Grillet – Pour moi les maquettes c’est un peu du croquis 3D. Sauf que je ne reproduis pas des lieux qui existent. C’est imaginaire. Le dessin, c’est venu après. Dans mes derniers carnets [Matthieu me montre ses carnets de croquis], je ne fais que des personnages, parce que c’est ce que je sais le moins faire. Le dessin, ça permet aussi d’avoir un autre rôle dans le tableau que faire des photos. C’est un bon prétexte pour être autrement dans le décor. Moi qui suis un flâneur et un observateur, le dessin c’est une manière de m’imbiber du  lieu. 

CharlotteD’où viennent ces plaques de métal sur lesquelles tu fixes tes maquettes ? 

Matthieu Grillet – [Sourire] C’est mon côté collectionneur… un peu Diogène 🙂 Je ramène des trucs de mes balades… des vieux bouts de fer. Et ça fait des socles. Ces bouts de fer, ça pourrait être le reste d’un toit d’un bâtiment, le reste d’une machine… enfin on pourrait imaginer pas mal de choses. Celle-là [Il me montre une plaque rouillée], c’est un bout de la caserne des Vernets. Pour l’étiquetage de mes pièces, j’utilise de vieux tampons encreurs d’avant l’informatique ou une vieille machine à écrire. J’y note le nom de l’endroit et la date pour me rappeler. Ceux-là [il me montre d’autres plaques métalliques toutes rouillées], c’est des vieux bouts de fer rongés qui viennent de l’Arve. Je les traite, mais presque pas. Je les nettoie au vinaigre et au bicarbonate de soude. Et puis je les laisse bruts. Je ramène aussi des bouts de cartons qui traînent par terre, des matériaux accessibles et recyclés. Dans ces quartiers, il y a toujours des SDF et des cartons dans les coins. Je les réutilise pour faire revivre les choses.

CharlotteY a-t-il un artiste ou un courant esthétique que tu aimes en particulier ? Quelles sont tes influences esthétiques ? 

Matthieu Grillet – L’architecture surtout… et puis il y a des gens du street art, que je suis. Tinguely, dans les plus vieux. Le Musée de l’art brut à Lausanne. Et puis, cet été, je suis allé voir le musée du papier à Bâle : c’est un des plus beaux musée que j’aie vu ! Et ça m’a donné envie de faire de la gravure, que je pratique aux ateliers GE-Grave.

CharlotteEst-ce que ton travail évolue vers d’autres formes ? 

Matthieu Grillet – J’ai commencé à faire de la traçabilité. Des photos d’objets dans leur habitat naturel… une rondelle [il me montre la photo d’un écrou rouillé sur le trottoir]. Il y a aussi des boulons que je ramasse dans les zones industrielles. Pour rigoler, je dis à mon fils : “On ne va pas aux champignons, on va aux boulons !” 🙂

La traçabilité, c’est un projet lié aux cartes Pokémon ACT. [NB : pratique actuelle d’échange de cartes d’artistes au même format que les cartes Pokémon. La transaction de cartes entre collectionneurs est soumise à 2 obligations : 1. la contrainte de format : la carte d’artiste doit être de même taille qu’une carte Pokémon 2. Il ne doit y avoir aucune transaction financière]. C’est devenu mondial et les gens se rencontrent pour échanger leur cartes, comme les gamins à la récré. Alors moi, j’ai commencé à faire des cartes. C’est un prétexte à la rencontre et à l’échange. Ces objets récupérés dans la rue, j’en ferais sûrement quelque chose dans une prochaine expo. 

CharlotteCombien de temps ça te prend pour faire une maquette ? 

Matthieu Grillet – Entre 3 et 5 heures. Avec des poses. Mais des fois ça ne marche pas et je dois arrêter. Reprendre plus tard…


Interview réalisée le 17 décembre 2020 dans l’atelier
de Matthieu Grillet à Genève


Merci beaucoup à Matthieu Grillet de m’avoir reçue et pris le temps de m’expliquer son travail !


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